Entretien avec Hans Theys . 2006

Hans Theys
J’aimerais bien voir un geyser en action
Entretien avec Gwendoline Robin, 29 janvier 2006

Introduction

Lorsque j’ai rencontré Gwendoline Robin pour la première fois, il y a plus de dix ans, à l’occasion d’une performance dans une galerie à Bruxelles, elle m’est apparue comme une personne joyeuse et perspicace. Elle ne fait pas partie de ces gens qui, sous un baratin gonflé ou soi-disant intellectuel, cachent le fait qu’ils ne ressentent rien, ne pigent rien et ne font jamais rien. Ses paroles sont claires. Elle nous rappelle, et on en est soulagé, qu’une table s’appelle toujours une table, malgré l’invention de la philosophie, le design et les grandes surfaces. J’adore les gens qui osent être clairs, lisibles et généreux.

La deuxième performance de Gwendoline que j’ai vue se déroulait au Singel, à Anvers. Ann Veronica Janssens avait invité quelques amis à présenter un livre de leur composition. Tout le monde supposait que Gwendoline Robin lirait quelque extrait de son très beau livre ’Les nuits de Gwendoline’. J’ai demandé à Janssens de nous raconter comment elle a avait vécu ce moment : ’Sa proposition au Singel était magnifique. Au moment où c’était son tour, elle a fait semblant de vouloir lire quelque chose d’une feuille de papier qu’elle tenait en main. Puis, en une fraction de seconde, la feuille s’est dissoute dans une petite explosion, dans une flamme. C’était un beau moment. D’abord elle a créé un moment de tension qui a absorbé tout le monde. Elle tremblait fortement. Tout le monde attendait. Et tout d’un coup, lorsque la flamme est arrivée, ce moment de tension s’est transformé en un moment de grâce, un moment d’éclat et de beauté. Tout se tenait. Et tout cela en moins d’une minute ! Gwen est une femme qui a trouvé un équilibre intéressant, un équilibre visuel, entre force et fragilité. La façon dont elle protège sa sensibilité avec cette armure qu’elle fait sauter tout de suite après… Sa façon apparemment agressive d’opérer, sa grande gueule et sa manière de se mettre en danger… Le tout avec beaucoup de grâce et d’élégance…’

(Lorsque j’ai traduit cette description, j’ai été frappé par la répétition du mot « moment  ». D’abord j’attribuais cela au caractère non officiel de notre entretien et je jugeai bon de supprimer quelques ’moments’. Cependant, la première phrase que Robin m’a dite à propos de son travail tournait également autour du concept ’moment’. Apparemment, pour ces deux artistes, le mot ’moment’ a une signification plus riche que pour moi. Ann Veronica Janssens a ressenti cela dans le travail de Gwendoline Robin, parce que son propre travail invite le spectateur à vivre la lumière et les choses en une série ralentie de moments successifs.)

Des pièges pour ne plus avoir peur

Ce que je fais dans mon travail, c’est me préparer des pièges pour ne plus avoir peur. Je me sens bien uniquement dans un présent libéré de la peur. C’est un peu ça, les performances. C’est une manière de rester dans le moment, le moment où je construis, le moment où je mets le feu et le moment où tout est fini, où je ne pense pas à autre chose qu’à ce qui vient de se passer. Le futur, j’aime autant ne pas y penser. Le passé encore moins.

C’est ce qui est juste dans les performances : après il n’en reste presque rien. Les seules choses qui restent sont des photos ou des vidéos qui donnent une impression de ce qui s’est passé. C’est comme quand je fais de petites éditions. Ce sont des choses qui restent, évidemment, mais elles n’apparaissent pas comme finies. Ce sont des ouvertures.

Mes éditions ? Il y a par exemple un livre que j’ai réalisé avec Corinne Bertrand. Dans la couverture de chaque exemplaire se trouvait un pétard. Si on allume le pétard, le livre brûle. Et peut-être le lecteur aussi, parce que c’est un pétard qui tourbillonne. Il est plutôt dangereux, celui-là.

L’édition First Alert de 1999 consistait en quatre petits livres composés de photos qui formaient une petite aventure cinématographique : de petites scènes dans lesquelles on voit exploser un téléphone, une cigarette, mon corps et ma tête. C’était la première fois que je me mettais en jeu. Avant je faisais seulement exploser des objets, mais à présent c’était aussi ma personne.

Angoisse et contrôle

Chaque fois que je faisais exploser mon corps, les gens me disaient : ’Toi tu n’as peur de rien.’ On me prend pour une femme forte sans scrupules, qui vivrait dans un monde sans obstacles. Cependant, se faire exploser c’est plutôt un signe de fragilité, je trouve. J’ai voulu montrer cette fragilité en publiant le livre Les nuits de Gwendoline.

Toutes les nuits, j’avais des angoisses de mourir du cancer, de la vache folle, de la tuberculose, d’une pneumonie ou d’une fuite de convecteur à gaz. Parfois j’allais même dormir chez une fille qui habitait deux maisons plus loin. Je préférais mourir chez elle. Au cas où.

Puis un ami m’a dit : ’Écris tes angoisses, tu n’auras plus peur’. Tous les matins, j’écrivais mes angoisses, mais la nuit suivante une nouvelle peur arrivait. Je les ai toutes notées. Ces textes sont restés longtemps dans un tiroir. Ce qui est gai avec cette édition, c’est que j’ai pu faire lire ces pensées étranges, que j’ai pu montrer une autre partie de moi.

Chaque fois que j’arrive à dégager une angoisse, je peux la montrer. Je n’ai pas l’intention de prendre le public en otage, mais de faire quelque chose de vivant. On peut très bien rire d’une angoisse. Je veux montrer que la vie est très vivante. Pas noire ou lourde.

 Pas comme le monde de Marina Abramovicz ?

Pour moi son monde n’est pas lourd. Dans ce qu’elle fait, y a une grande confiance en la vie. Son travail n’est pas morbide. Mais je vois ce que tu veux dire, le sang et la douleur ne m’intéressent pas.

Un jour, j’ai proposé une performance à l’Atelier 340. C’était un parcours où je marchais sur des explosions, dans un terrain vague. Une performance que j’avais préparée depuis longtemps avec Garrett List, dans un champ à la campagne. Deux jours avant la performance, la guerre en Iraq a éclaté. Cette guerre a porté un regard sur la performance que je n’avais pas prévu, mais qui était intéressant. Tout de suite, un rapport s’est installé avec le public. Deux ans plus tard le Théâtre de la Balsamine m’a demandé de refaire cette performance et là cela n’a pas fonctionné, parce que j’ai voulu la refaire avec la conscience qu’elle pouvait rappeler la guerre. J’étais tombé dans le piège de l’illustration…

Il ne faut pas refaire des performances. Il faut que je garde ce côté léger qui part d’une intuition, je dois faire confiance à cela. Ne pas vouloir contrôler… Ce n’est pas très rassurant de faire confiance à une intuition. Mais il le faut. La fragilité de l’intuition le demande.

 C’est difficile de ne pas savoir pourquoi tu fais quelque chose et pourquoi tu veux la faire d’une certaine façon ?

Oui. Mais si je ne sais pas pourquoi je le fais, le public reçoit mieux la performance. Si je contrôle moins ce que je fais, la performance est plus proche de la personne qui la reçoit.

 Tu crées des moments de non contrôle.

Il s’agit de lâcher prise. C’est comme quand tu rencontres quelqu’un. Je n’aime pas les formules de politesse. Je veux faire des rencontres. Dans la performance, j’ai parfois tendance à me dire : si je le fais de telle ou telle manière, la performance sera plus claire, mieux reçue, plus réussie… Mais ça ne sert à rien. Maintenant j’arrive à abandonner ce rapport-là. Je réussis à ne plus contrôler la relation avec le public.

 On voit que les gens angoissés ont tendance à vouloir contrôler les autres. Mais on pourrait dire aussi que leurs peurs proviennent de ce besoin de contrôle. Dans ton travail tu sembles vouloir créer des situations que tu ne contrôles pas pour apprendre à surmonter tes peurs, mais de nouvelles peurs surgissent alors, de nouveaux besoins de contrôle.

Oui. Je sais que je vais marcher sur des explosions, mais je ne sais pas si toutes les charges vont exploser ni comment. J’ai peur qu’elles n’explosent pas toutes.

 Tu as peur que ça ne marche pas ?

Ce qui fait peur, ce n’est pas le risque que tout va sauter, mais le risque que rien ne se passe. La possibilité de l’échec fait peur. ’Est-ce que cela peut marcher ou pas ?’ La performance m’attire à cause de cette incertitude. Un jour, rien n’ a marché. Et la performance était d’autant plus intéressante.

Le jour où je pourrai marcher droit devant moi, sans être perturbée par le fait qu’il ne se passe rien du tout, parce que rien ne fonctionne, ce sera l’apogée. Le bouquet final.

 Oser exister sans ressentir le besoin de faire peur aux gens ?

Faire peur aux autres, c’est un peu mon plaisir. Enfant, j’essayais d’effrayer les garçons. J’aime bien qu’on me craigne.

La poudre noire et la gaine

 Tu marches donc sur des bombes qui explosent. Comment les fais-tu exploser ?

Je marche sur des planches. Dessous, il y a un ressort et un contact électrique qui déclenche une explosion. Je sais ce que je vais faire, mais je ne sais pas ce que ça va donner. Pour d’autres performances, j’allume les mèches avec un briquet. Là il y a aussi beaucoup de choses qui peuvent foirer. La mèche peut être interrompue, par exemple. Puis il y a le temps qu’il fait et la fragilité du matériel pyrotechnique. Souvent mes performances se passent à l’extérieur. Ce qui fait que j’ai peur chaque fois que le ciel est gris.

Pour me protéger de la chaleur lorsque je fais exploser des explosifs qui entourent mon corps, je mets du scotch aluminium sur ma salopette et mes chaussures. C’est le même papier collant qu’on met sur les voitures pour les retoucher. C’est une technique personnelle. La combinaison que je porte est en coton. Elle ne peut pas prendre feu, mais il y a des trous par lesquels les étincelles parfois m’atteignent. Puis je porte un casque de moto et une cagoule comme celle que les pompiers utilisent. La cagoule est importante. Elle est aussi en coton, un coton trempé dans un produit ignifuge.

Je n’utilise pas tellement de produits différents. D’abord il y a les mèches : la mèche lente, la mèche explosive et la mèche rouge. La mèche rouge est celle que nous connaissons dans les dessins animés. Celle que je préfère, c’est la mèche explosive. C’est de la poudre noire sous conduit plastifié. Je l’utilise pour construire une structure que je porte autour de mon corps, une sorte d’armure explosive. À chaque intersection je serre le conduit avec un colçon. Avec mes dents. Plus je tire, plus elles sont coincées et plus ça explose. Si je tire très fort elles deviennent très explosives : cela provoque des chocs et la poudre noire à l’intérieur de la mèche part dans tous les sens. Elle déchire la gaine qui part en flammes. Tout va très vite. Ce n’est jamais très long. Après il y a de la fumée.

 Ã‡a sent bon ?

Oui. Je reste imprégnée de cette odeur très longtemps. Elle colle aux vêtements et aux cheveux. Souvent, il reste aussi un résidu de poudre sur mes lèvres. Pendant deux ou trois jours, j’ai un goût de souffre sur les lèvres, un goût très étrange. Ça pique. J’adore ce sentiment. Ça sèche la peau. Les lèvres sont toujours les plus abîmées. Du fait des manipulations — je les coupe, je les lèche, je les serre —, j’ai de la poudre noire sur les ongles aussi. Il faut juste ne pas avoir de blessures. Cela ronge.

La poudre noire, je vais la chercher à Liège chez un vieil artificier qui fabrique encore lui-même sa poudre. Il est incroyable. Il habite dans une toute petite maison dans une impasse. Sa maison est bourrée de poudre noire. Il la vend par kilos, emballée dans du papier kraft. Il y a des mélanges différents. S’il veut savoir ce qu’il a mis dedans, il goûte la poudre. ’Là j’ai mis un peu plus de poudre grise,’ dit-il alors. La poudre grise, c’est une poudre qui brise.

J’adore allumer une belle et longue traînée de poudre noire. Cela provoque un beau bruit sourd et ça produit beaucoup de feu et de fumée. J’aime beaucoup le feu et la fumée. La dernière fois, j’ai fait une traînée de 130 mètres de long et de cinq centimètres de large. On l’allumait d’un côté et moi j’attendais le feu de l’autre côté, sur une rampe de 3 ou 4 mètres de haut. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que plus le feu avançait, plus la boule grossissait. Le feu se comportait comme une boule de neige qui ramasse et ramasse. Tout d’un coup, je me suis trouvée prisonnière d’une énorme boule de feu et de fumée qui s’agrandissait et se rapprochait très rapidement. Ça allait très vite. Le temps de trois secondes. Je ne pouvais pas m’échapper sans sauter de la passerelle. Soit je me cassais une jambe, soit je brûlais. Je devais choisir tout de suite. Je suis restée debout sans bouger. Le feu s’est éteint juste devant moi.

Parfois j’enferme de la poudre noire dans du papier aluminium et je façonne de petites papillotes. Je les allume en marchant sur des boutons poussoirs. Cela donne de beaux champignons de fumée dans lesquels mon corps disparaît. Comme un magicien qui fait disparaître des choses ou des gens…

Puis il y a les marrons d’air. Ce sont des bombes qui doivent monter haut, parce qu’elles sont comme des coups de tonnerre puissants. On les intègre dans les feux d’artifice pour donner du rythme. On sent d’ailleurs les vibrations jusque dans le sol. C’est un peu pour cela que je les adore. J’enlève la chasse, qui sert à les transporter jusqu’en haut, et je les enterre. Du coup, ça fait aussi une explosion de terre. Un super cratère. Et la terre tremble vraiment.

Restent alors les tracas, qui sont accrochées sur des mèches rapides, comme des gros caramels. Cela produit une chaîne d’explosions très rapides. Ça donne bien dans une petite cour bien enfermée, comme chez Camille.

Une chaise volante

Récemment j’ai fait décoller une chaise en carton dans un champ. C’était pas mal.

 Pourquoi en carton ?

J’avais envie de voir une chaise qui décolle dans un champ, mais une chaise en bois, c’était trop lourd. En fait c’était juste pour me dire : voilà il y a une chaise qui vole. Et j’ai triché. Parfois j’ai envie de voir quelque chose qui n’est pas possible réellement, alors je suis bien obligée de tricher. Tricher, ça donne un résultat qui fait plaisir. Parfois je me sens un peu coupable, mais… Le feu d’artifice c’est aussi une triche. Et quand je me mets en feu, je ne brûle pas vraiment. C’est comme avec le casque. Quand j’allume une mèche explosive autour de mon casque, ça fait beaucoup de bruit. Les gens ont souvent peur que je devienne sourde, mais en fait je n’entends presque rien. Je suis protégée par mon casque et la cagoule.

 Quand est-ce que tu as commencé à jouer ou à travailler avec des explosifs ?

Quand j’étais petite, je vivais à la campagne et je m’amusais en allumant des pétards dans les crottes de vaches. Il fallait maîtriser tout une technique, parce qu’il fallait prendre des bouses qui étaient encore molles à l’intérieur mais qui avaient déjà une fine croûte bien dure. Tu enfonces le pétard et tu ne l’allumes qu’à la dernière minute quand les gens que tu veux surprendre sont vraiment proches. Je m’amusais beaucoup à faire ces blagues-là.

Quand je suis arrivée à Bruxelles, j’avais toujours en poche de petits pétards et de petites fontaines. À La Cambre, je m’amusais à accrocher des pétards avec deux cordes aux portes. Ce sont de bêtes blagues, mais ça marche toujours. Quand j’ai terminé mes études, Jean Glibert, qui avait été mon professeur, m’a suggéré de mettre mes pétards dans mon travail plutôt que là ou il ne fallait pas.

Regarde, tu connais ça ? (Elle me montre une grenouille en plastique qui fait en bond en arrière et retombe saine et sauve sur ses pieds.) Ça marche bien, non ?

 Les pétards dans tes poches étaient-ils une manière de garder près de toi la campagne d’où tu venais ?

Non, je détestais la campagne. Mon adolescence a été une horreur.

 Une façon de sauvegarder ton enfance, alors ?

Oui. En tout cas la liberté que j’ai connue pendant l’enfance… Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle on m’a suggéré de travailler avec des pétards. Pour réintroduire une légèreté.

Un truc qui bouillonne

Mon travail d’aujourd’hui a commencé avec de petites installations. En 1996, chez Camille j’ai montré de petites sculptures qui explosaient. Un grand réveil chinois était raccordé à une pile, la pile était raccordée à un inflammateur et quand l’alarme se mettait en route le contact électrique faisait exploser l’objet.

Dans le film Un singe en hiver, il y a une scène avec un vieux monsieur qui a un magasin empli de vieux objets. Dans ses réserves, se trouvent une dizaine de caisses pour le grand feu d’artifice qu’il rêve un jour de tirer. Une nuit, Gabin et Belmondo sont très saouls et ils vont chercher le vieux monsieur et le feu d’artifice pour le tirer sur la plage. Normalement, c’est un feu d’artifice qui est prévu pour un moment officiel, mais ici ils le tirent juste par envie. En soi, les feux d’artifice m’ennuient, mais lorsqu’ils réveillent tout un village et que tout le monde court dans tous les sens pour voir ce qui se passe, cela devient beau. Toutes les bombes qui partent dans le ciel ne m’intéressent pas. Les caisses d’où les bombes partent, par contre, ça c’est beau ! Et les mèches. Ou le choc de départ.

Je viens de terminer un travail pour lequel j’ai construit une ville en papier. Puis j’ai foutu le feu et on a filmé. Le but était de donner forme à une catastrophe, de construire une catastrophe. J’ai voulu jouer avec ma peur que la maison prend feu et qu’avec elle toute la ville brûle. Dans mon appartement précédent, j’éprouvais tout le temps l’angoisse que la maison brûle. J’avais toute une cargaison de feu d’artifice dans le grenier. Je me suis dit que si ça brûlait, tout le quartier partirait en flammes. Ici aussi d’ailleurs… Il y a de la poudre noire partout et si quelqu’un fume… Tu fumes ?

 La maquette était basée sur une ville existante ?

Non, plutôt sur une idée que j’avais d’une ville. D’abord, j’ai construit des maisons de dimensions différentes, des maisons comme à Bruxelles, mais puis j’ai vu qu’il fallait des buildings pour faire ville.

 Où est-ce que tu l’as fait brûler ?

Dans mon atelier.

 Sans public ?

Je voulais d’abord essayer, parce que je ne savais pas ce que ça allait donner.

 Et qu’est-ce que ça a donné ?

Quand la ville était construite, une amie l’a entourée d’une installation avec plusieurs caméras et tout d’un coup cette ville apparaissait comme un objet préoccupant, comme s’il allait se passer quelque chose. Alors m’est venue l’idée de faire un allumage et que la ville allait brûler d’un seul coup. J’ai mis un peu de pâte à feu à différents endroits de la ville et j’ai allumé, mais au lieu que le feu prenne d’un coup, comme je l’avais prévu, tout a brûlé très lentement. Je devais tout le temps réallumer le feu à un autre endroit. Heureusement, parce que cela m’a vraiment laissé le temps de regarder. C’était beaucoup plus impressionnant que prévu, parce qu’il y régnait une chaleur de plus en plus forte, il s’en dégageait de la fumée et une odeur de pétrole et nos yeux commençaient à piquer. Tout d’un coup, je me suis dit que je n’étais pas en train de contrôler. C’était beau. Je me sentais proche d’un vrai incendie.

Tingely, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il construisait des machines qui s’autodétruisaient, a répondu : ’Une maison qu’on construit , ça n’intéresse personne, mais lorsqu’on fait exploser une maison, tout le monde adore.’ Lorsqu’ils regardent un incendie, les gens ont peur, mais ils sourient en même temps. J’aimerais bien faire ça. Remplir une vieille maison abandonnée avec des feux d’artifices et puis l’allumer. On ne verrait pas le feu d’artifice, mais des éclats, des trouées dans le plancher et les plafonds, des vitres qui explosent, ci et là un nouveau feu qui se déclenche sur un autre étage… Comme un truc qui bouillonne… Ce serait beaucoup plus beau qu’un feu d’artifice. Comme la maison en face là, par exemple. Ce ne serait plus du tout contrôlable, mais ce serait très beau.

Montagne de Miel, 29 janvier 2006.